Victor Hugo par Ousmane Sow
A l’occasion de la Journée internationale du refus de la misère, Ousmane Sow s’est associé à Médecins du Monde pour interpeler l’opinion publique et les politiques sur le problème de l’exclusion en France.
Ousmane Sow a choisi d’incarner ce thème par le personnage de Victor Hugo, symbole de la misère et du combat politique.
MISERERE, scène de rue avec misérables
Rendez-vous était donné le 17 Octobre 2002 au matin pour installer, deux jours durant, l’original de la sculpture place du Président Hériot, près de l’Assemblée Nationale, lieu hautement symbolique pour Victor Hugo, qui, en tant que député interpella souvent l’hémicycle sur ces thèmes essentiels.
Mais les choses ne se sont pas passées comme on pourrait l’imaginer.
Récit par Jacques A Bertrand paru dans le Nouvel Observateur du 30 octobre 2002
Il pleuvait. On avait relu « Les Misérables ».
Du monde, quelques uns voulaient sauver la face :
La misère gagnait, on nous servait des fables.
De « libre », « libéral » avait repris la place…
Depuis l’aube, on avait dressé les barrières, mis en place sous la pluie un escadron de gardiens de l’ordre, abandonné la petite place du Président-Edouard-Herriot à la pavane des adorateurs du talkie-walkie. La veille encore, on assurait à la direction de Médecins du Monde que l’autorisation de déposer la statue de l’auteur des Misérables aux portes de l’Assemblé Nationale serait accordée. La Mairie de Paris était favorable. Le commissariat du septième arrondissement n’attendait que le feu vert de la Préfecture de Police – où, sans nul doute, on se félicitait de voir confier à un artiste africain le soin de rajeunir d’un bicentenaire notre poète le plus généreux, notoire empêcheur de discourir en rond.
Et puis, au dernier moment, comme s’il était encore nécessaire de prouver que les mêmes causes produisent les mêmes effets, on inventa un renforcement du plan « vigipirates » (dont, semble-t-il, aucune force de police ne fut avertie) pour exclure une deuxième fois Victor Hugo de la Représentation Nationale. Et l’œuvre – superbe de force impassible – d’Ousmane Sow (connu des Parisiens pour avoir présenté sur le Pont des Arts sa vision magistrale d’une humanité multiraciale) ne fut pas admise à descendre du camion de déménagement. Lequel dut bientôt repartir, suivi par deux voitures de police banalisées.
Les forces de l’ordre tentèrent sans succès de faire « circuler » le Directeur de MDM, Ousmane Sow et une quarantaine de personnes dont la plupart étaient assises à la terrasse du café le plus proche.
- Mais que veulent ces gens? demanda un CRS.
Il lui fut répondu par une espèce d’inspecteur des Renseignements Généraux en civil :
- Faire chier le monde !
Or, la formule était maladroite. Le monde, la moitié des participants de ce rassemblement interdit, le revendiquaient sur leur brassard : « Médecins du… »
Cependant, Victor Hugo était tout de même apparu un instant sur la plate-forme de livraison, dans la force de l’âge et la puissance de l’œuvre, déterminé, consultant sans fébrilité sa montre gousset. Et prenant date à nouveau, sous les applaudissements.
Ousmane Sow, jeune, a connu la misère dans une France dont il affirme pourtant qu’elle était beaucoup plus généreuse que celle d’aujourd’hui. Le sculpteur sénégalais de renommée internationale nous fait le double cadeau d’un hommage et d’une leçon. Son Hugo – impeccable témoin de la grandeur et de la misère humaine – finira sûrement par être accueilli dans quelque Cour d’Honneur, après avoir été coulé dans le bronze aux Fonderies de Coubertin. Ce sera un honneur pour nous.
Catherine Tasca, encore récemment ministre d’une culture autrement universelle, se tourna un moment vers le sculpteur : « – Faut-il que cette sculpture ait tant de choses à dire pour qu’ils en aient si peur ! »
- On comprend mieux ce qu’est l’exil, dit une jeune femme.
Et l’art, pourrait-on ajouter.
Un peu plus tard, un échantillon de la Garde Républicaine en costume d’apparat faisait son entrée à l’Assemblée au son du tambour . C’était pour la fameuse séance du mercredi, où l’armée des notables se presse au portillon du petit écran. Les manifestants, interdits, s’accordèrent sur le fait que ni Hugo, ni Sow, ni Médecins du Monde n’auraient mérité ce type « d’enterrement de première classe ».
Et donc, tout était dans l’ordre. On ne prendra pas la peine de chercher à savoir quel commis de l’Etat (voire quel ministre) fut à l’origine de cette indélicatesse. Hugo exilé pour la seconde fois, c’était la preuve qu’il était toujours aussi jeune. Et ses idées toujours aussi neuves. Et les porte-parole de ces idées toujours aussi nécessaires. C’était aussi l’occasion pour une certaine France de mesurer à quel point elle n’était pas souvent à la hauteur des principes qu’elle revendique.
La misère n’est pas une fatalité. C’est une injustice.
Lorsqu’on dévoila le père Hugo, devant l’aspect imposant du bonhomme, le motard de la gendarmerie, le CRS de base, l’inspecteur des RG, s’interrogèrent mutuellement : « – C’est qui ? C’est qui ? »
« – L’inspecteur Javert! » lança quelqu’un.
Mais je crus lire, dans le regard noir d’un jeune Compagnon de la Sécurité Républicaine, le reflet d’une incompréhension pour le moins bimillénaire…
17 Octobre 2003 Victor Hugo en Bronze à Besançon
C’est la Ville de Besançon qui a répondu à cette action en commandant à Ousmane Sow la réalisation de l’oeuvre de Victor Hugo en bronze.
Le 17 Octobre 2003, à l’occasion de la Journée du refus de la misère, la Ville de Besançon a inauguré l’oeuvre, installée Place des Droits de l’Homme à Besançon.